Progression / Régression

Publié le par Felix Laitier

 

Dans les oreilles : The Divine Comedy "Absent friends" 

 

 

"Tout a commencé à foutre le camp avec le téléphone portable. C'est là que les objets du quotidien ont commencé à supplanter nos priorités, à marcher sur nos plates vies, à pulluler à la façon d'un eczema. A grignoter notre temps. A nous grignoter. Tout à coup il fallait être disponible à chaque instant, être là, au milieu de tout le monde, à tout moment. Plus moyen d'être seul, de n'être personne. On a commencé à appeler ça des "sans-fils", on n'a jamais autant eu le fil à la patte. Tracés, traqués... 

Voyez la Solitude, comme on l'a pendue haut et court sur l'arbre prolifère de la communication.

Il suffit de ne pas répondre ? Mais oui, c'est ça. Vous en connaissez beaucoup qui ne répondent pas ?

 

Le pire dans tout ça est l'obligation qu'on s'est nous-mêmes imposée de réagir sur le champ. Le portable, c'est l'immédiateté comme mode de vie. Cette antenne est notre aileron, on a fait de nous l'égal des squales : condamnés à la suractivité. On doit répondre à tout un tas de machins sans le moindre recul. Il faut dire où se trouve le dossier IN-X33, aller voir le prix d'un pneu 175 65 R14, chercher le nom du notaire de la nièce de la cousine du voisin. Le banquier est dans votre fauteuil, le patron dans votre pieu. Il faut justifier de sa position, même aux toilettes. Si vous ne répondez pas à votre sonnerie Rihanna téléchargée, on vous déclare mort dans l'heure. Les gendarmes débarquent chez vous avec un certificat de décès. Signez ici. C'est nous mêmes qui avons choisi.  

 

Mais non, je me trompe, tout a commencé à foutre le camp avec internet. Quand la communication a cessé d'être un moyen ou un outil pour devenir une fin, puis une faim. Au début on s'est dit que c'était formidable. L'information, la culture, la connaissance à portée de clic. Plus besoin de subir le langage brushingué des journalistes télé, plus besoin d'attendre les horaires d'ouverture de la bibliothèque... Mais au lieu de surfer, on s'est pris la vague du net trop fort. On n'était pas prêt pour ce sport. On se noie, on s'envase. On se contente de trois sites favoris et notre curiosité est emberlificotée à la toile. On s'embourbe sur quelques pages aux ornières publicitaires.

On se fige.

L'orteil trempé dans un océan trop vaste pour nous, oui, on se fige, intimidé par trois ou quatre nageurs un peu plus téméraires, éclaireurs futiles nageant jusqu'aux bouées qui ne sont autres que les leurres d'efficacité du web.

Illusion de rapidité ! On obtient des réponses en dix secondes, on sait qui détenait le record du saut à la perche en 1956, on apprend quel est l'affluent le plus long de la Volga, on sait que tu dansais bourré au Caesar Palace hier à 23h40. Mais internet répond sans nous indiquer quoi demander. On ne pose toujours pas les bonnes questions aux moteurs de recherches : où va-t-on ? Dans quel but ? Comment faire avec la mort ? Comment faire avec l'amour ? Comment élever des enfants ? Pourquoi a-t-on besoin de croire en l'au-delà ? Pourquoi Jennifer Aniston ne fait que des navets ?

On croit gagner du temps.

On fait du surplace. 

 

Enfin, je ne vois pas plus loin que le bout de mon nez. Tout a commencé à foutre le camp avec l'électricité ! Avant cela la famille se réunissait autour du chandelier, arbre généalogique du présent. L'homme vivait alors au rythme des saisons et du soleil. Quelle est cette idée folle de vouloir se dédouaner de la nature ?

 

Attendez, attendez... Je me dois d'aller au fond des choses, et là j'effleure la surface... Tout a commencé à foutre le camp lorsqu'un petit malin a inventé la roue. Voilà que les rois ne voulaient plus attendre pour faire ériger leurs palais, faisant claquer les fouets de plus en plus vite... Mais bon... C'est vrai que sans la roue...  

- Banjo ! Allez, va falloir rentrer maintenant.

- Mon dieu Merlin. Je crois que je viens de réaliser que je suis un con.

- Un technophobe tout au plus. Mais c'est pas grave : plus personne ne t'écoute, ton public est parti. Et il se fait tard, le château va fermer ses portes.

- Mais où sont... ?

- ... Toutes rentrées. La bonne nouvelle c'est que la Solitude n'est finalement pas morte : tu parles seul sur ce canapé depuis une demi-heure.

- Ah... Deux derniers verres pour la route ?

- Tu as assez bu.

- Bon ok, un seul.

- Même tes gamelles tu les négocies mieux que ça. Allez, on y va.

- Où est mon téléphone ? J'ai peut-être des messages." 

 

J'ai déplié Benjamin, la tangue aux genoux, et nous avons gagné les vestiaires l'ébriété en marée haute. Au fond de sa poche il a retrouvé son téléphone et huit messages. Au fond de la mienne, un tissu. Oh non... Ca continue !

 

 

 

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L
Très bon !
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F
<br /> <br /> Ca me rassure ! De ce chapitre, je n'étais pas tout à fait sûr. MERCI !!<br /> <br /> <br /> <br />