Envoyer/Recevoir... dans l'ordre. Partie 3
SOIREE D'ENTREPRISE
Dans les oreilles : The Divine Comedy "In pursuit of happiness"
Devant l'entrée du château, une biche de glace figée dans sa posture farouche, la patte infléchie. Le sculpteur avait dû passer des heures à lisser la fragilité cristalline de cet être forcément apeuré par les deux-cent personnes qui allaient lui tourner autour. C'était une belle évocation de notre marotte chez Elaq, la nature. Un monde sublime dont la durée de vie semblait, disait-on, de plus en plus limitée.
De voir les perles de dégel au fil des flancs affolés de la biche, je pensais plutôt à notre société incapable de sauver une vie culturelle précieuse, laissant fondre et se déformer l'art, rendant éphémère toute création - certes éternelle par son existence virtuelle relayée par le net, bel et bien éphémère par son impact réduit à peau de biche.
La Saab du sous-directeur était garée non loin des marches d'escalier. Philippe Pasquier avait loué son sourire chez le même fournisseur que Tom Cruise. Il paradait. Photos devant la sculpture argentée. Flash, Flash. Les faisceaux irisés du château Flash en étaient flavescents. Il posait avec l'animal transi. Pataud, il passait et repassait sa paluche épaisse sur le pelage limpide de la captive. Le cou fin enfanté par la gouge, le gougeât se l'appropriait. Le voilà qui enserrait le museau, incapable de voir les sanglots sur les glaçons. Des spots orangés criblèrent la crinière craintive.
Sous l'oeil de la biche, une larme.
Clac. Mes propres glaçons, cernés par le Martini, se fendaient. C'était l'heure où on met de côté les atomes crochus : échanges polis avec ce qu'on trouve, la pluie, le beau temps, le décor romanesque du VIIème siècle, l'épaisseur du marbre.
Les sujets étaient rares. Princières errances...
DJ Ridoo patinait sur l'électro tiède, embourgeoisée. Je longeai les canapés rouges indigestes, attrapai les comestibles, cherchai de l'assurance dans mon verre et Emma dans la Cour carrée - je n'avais qu'un but ce soir, parler avec elle sans passer pour un âne. La salle, pleine de sansevieria, vide de gens. Une vingtaine de tables rondes immaculées brillaient sous la véranda qui révérait la Renaissance. Un petit écran anthracite avalait la lumière sur chaque tablée. Trous noirs carrés. On n'allait tout de même pas passer une soirée sans iPad !
Mon verre calé dans la paume, je passai un index furtif sur la tablette la plus proche : on y trouvait le plan de table, le menu du souper, l'histoire du château, des infos pratiques, une application photographique, et les images en direct de douze webcams parsemées dans l'enceinte. Sur l'une des vidéos, un gars lamentable penché sur son pad, incapable de déconnexion le nul ! Voyons où... La Cour carrée. Bon. D'accord.
Quoi d'autre ? A l'entrée, le flux augmentait. Pasquier s'était désintéressé de la biche, il étalait sa noble humeur au lounge. Yoko s'était fait greffer des doigts pour collecter davantage de petits fours. Accoudé au bar, un tas de fougère immobile : Banjo était arrivé.
"- C'est ma tournée, je te paye un verre ?
- Hé, salut Merlin ! Je voudrais pas te ruiner... Monsieur, votre meilleur whisky s'il vous plait !
- Dur assaut.
- Faut casser le bois de la porte.
- Tu as raison. La même chose, je vous prie !
- Et pour moi aussi ! Vous avez pris quoi au fait ? Pas du thé froid de tapette, j'espère ?"
Bénédicte était méconnaissable. De la bride dentelée, décolleté, le satin jusqu'aux escarpins. Banjo mâta la dune plate de ses fesses, noir désert. Une seule note rock la marquait, sur son épaule : le crâne chapeauté de Slash dans la peau. Et son langage bien sûr.
"- C'est à l'oeil ce soir. On va boire comme des enculés !"
Le malt empathique stimula nos langues. Quand passa la Directrice, je ne sus pas qui du whisky ou d'elle m'empoignait l'estomac. Nous regardions défiler le tapis rouge, commentant tenues, maquillages, teint foie gras, coiffures crustacées.
"- Et celui-là, le dirlo de Grenoble, il a déjà une bûche de Noël dans le cul.
- Attention Béné, nous sommes filmés. Pas de gestes..."
Déni majeur.
"- Vous savez, commença Banjo, que la tradition de la bûche vient d'un rite païen célébrant le solstice d'hiver ?
- Alors le grenoblois, il s'en beurre du solstice ! Pas vrai Felix ?
- Oh, moi tu sais... les produits laitiers..."
Liquoreuse transhumance ; sur un chemin jalonné par les toasts et les plateaux d'argent, nous avons rameuté notre guindé camarade Vincent, salué les gens de plus en plus chaleureusement, taquiné Eddy sur le sabotage présumé, gagné un nouveau refuge spiritueux. Nos coudes étaient harmonieusement enquillés. Béné bavassait, les garçons séparaient le bon grain de l'ivraie, cependant que j'écoutais en riant.
Au fond de moi, sous la lune, un petit gars attendait assis sur son rocher. Emma, la nuit.
Un Cupidon de pierre riait de mes fleurs bleues d'Epinal, son arc tendu contre moi.
Mais ne lui en déplaise, enfin elle arrive. Un simple caraco la sublime, l'ébène et l'écarlate en bataille, le sirocco poursuit la soie. Elle décoche un sourire. Flèche, Flèche. Un rictus timidement réfléchi, je la salue du verre, renverse une lampée sur la manche et observe sa fuite Flèche échevelée. Aux escalades de strass, à la compétition de la surenchère, au besoin de se toquer d'un incongru couvre-chef, à l'envie annuelle de se distinguer par le haut, le luxe et la dorure, Emma répond par la simplicité. Montez, grimpez avec vos dentelles et vos paillettes, piétinez-vous, et une fois là-haut dans la meute entassés, tas de Ferrero rochers, tous vos yeux se tourneront sur l'obscure pureté d'Emma !
C'est toute la différence entre se montrer et être vu.
Dispersion des troupes. Je me retrouvai à table avec Vincent, Ericka, et des inconnus que je réduirai à quelques agitations digitales sur l'iGadget à disposition. Ma nouvelle correspondante me tournait le dos. Le Guen n'avait pas ma déveine. Tandis que je répondais au téléphone, je le voyais mobiliser toute sa spiritualité et briller auprès d'elle.
"- Cendrillon ! C'est Gilles. C'est quoi ce boulet que tu m'as refourgué ? Il ne veut ni manger, ni danser, ni dormir, et il dit qu'il va te balancer !
- Le petit Arthur ? C'est un ange d'habitude...
- Il s'est trouvé une nouvelle vocation. Du genre ardent ! Tu vas venir me le récupérer. Il va moucharder à ses vieux.
- T'as essayé de le soudoyer ? File-lui dix euros pour son silence.
- Tu me rembourses en rentrant.
- Promis.
- J'essaie encore ça... Voilà, OK. Ca nous l'a calmé. Tu me dois vingt euros. Tu peux disposer.
- J'avais dit dix euros !
- J'avais pas la monnaie.
- Gilles ?
- Quoi ?
- Tu serais pas en train de m'arnaquer ? Le petit dort à poing fermé ?
- Vingt euros. T'as promis."
Bonne guerre.
Les discours, le repas, l'hommage à un employé disparu, le service du café nous plombaient sur nos chaises. Si seulement Bénédicte se trouvait à la tablée d'Emma, sa spontanéité et ma langue désinhibée m'auraient conduit jusqu'à elles, mais aucun intime n'y était assis. Il était temps de rejoindre ma meilleure amie : une Camel, longuement tirée. De ce côté du parc, c'étaient deux lions de granit qui régnaient.
Sous la lune, j'attendais appuyé contre la statue. Emma, la nuit.
La porte s'ouvrit. Une chance sur 199 que ce soit elle. L'espoir me palpa les pupilles, je regardai.
Le coeur battant, un peu gêné, je me repliai à l'ombre du félidé, fidèle à ma bravoure. J'écoutai la femme qui conversait avec Le Guen et le grenoblois. Réunion de fauves. Les lèvres en forme de bulbe, la directrice crapotait. Ses bas traçaient des algues vertes sur ses jambes. De sa main libre, elle massait son large fessier sous une jupe couleur vase.
"- Tu as encore mal ?
- Que t'est-il arrivé ? demanda le grenoblois.
- Une petite chute après qu'un scooter m'a foncé dessus."
Un peu plus d'ombre, c'est possible ? J'ignorais que je l'avais fait tomber !
"- Le coccyx ?
- Oui, mais c'est pas grave : c'est bien le seul moyen que j'ai trouvé pour me faire démonter le cul !"
Tandis qu'ils s'esclaffaient, je me disais que Bénédicte serait une bonne héritière à la direction d'Elaq. Comme elle, sa grossièreté ronde ne me choquait pas ; je la trouvais en outre attachante. La trivialité est une même graine qui donnera des fleurs amusantes ou vulgaires suivant où elle pousse.
"- Trêve de plaisanterie, qu'est-ce que vous pensez de ces iPad sur chaque table ? Ce n'est pas un peu tape-à-l'oeil ?"
- Philippe est fier de son idée, répondit Le Guen, et je dois dire que les gens apprécient. Le but de la soirée est de resserrer la cohésion. Force est de constater que ça fonctionne.
- On se le passe comme on partagerait une revue, enchérit le grenoblois, c'est convivial !
- Moi je n'avais pas le droit de lire à table quand j'étais petite. Mais je suis sans doute une vieille ronchonne."
Une alliée ! J'avais défoncé le coccyx de ma meilleure alliée chez Elaq !
Non sans m'avoir salué au passage, le trio rentra. La Cour carrée venait d'être reliftée en dancefloor.
A peine entré, une main me souleva par le col. Hors de question que j'y échappe, Béné voulait qu'on danse. Avec l'hilarité de ceux qui ont court-circuité leur filtre social à coup de giclées à quarante degrés, elle se démembrait. Mon bras se débattait comme une carpe, mais une fois au milieu de la piste et des regards, on ne peut rien faire d'autre que suivre la dictature du rythme.
Toutes les petites cellules de contrôle qui régissent ma vie prudente sont sollicitées simultanément. La danse suppose un relâchement, un abandon de soi, or en ce qui me concerne le petit pas en avant, le petit pas de recul, c'est un exercice de funambule. Comment veux-tu que je l'articule ?
Ecarte moins les pieds, commence tranquillement, libère ton bassin, doucement sur les épaules, pense à sourire, moins hauts les bras t'as l'air d'un vieux, c'est ça chante le refrain, rouvre les yeux par contre, plus près les pieds je t'ai déjà dit ! Ton bassin, bon sang !
Et de voir se répandre sous des lumières vertes fluo-cligno-discotantes tous ces gens qui aspirent l'espace comme un noyé son air, leurs gesticulations savantes me savatent. Je ne parvenais à me détacher ni de moi-même, ni de Bénédicte. Ma chorégraphie sans éclaboussure était jetée en pâture. Une marionnette aux fils à facettes ; chaque pas de danse voisin observé influençait indépendamment l'un de mes membres et ces locations passagères rendaient absurde ma valse hybride. Je ne voyais plus qu'arrogance dans les regards autour. Ils se mouvaient si bien, jamais ne s'émouvaient. Se montrer. Attirer, harponner, agripper, dépecer l'attention à tout prix, chercher son quart d'heure de gloire sur une piste de pacotille, une arène disco ceinturée par les vidéastes du samedi soir. La fièvre tombera sur Facebook demain matin. WANTED : popularité, morte ou vive.
Moi je voudrais qu'on me gomme de là...
A travers les barreaux de corps ondulants, je jetai un regard contrarié à la recherche d'Emma. Personne.
Au bout d'une demi-heure, je déjouai la garde de Bénédicte, une idée en tête : utiliser les caméras relayées sur l'iPad de ma table pour localiser la fille de mes rêves. Rectification, deux idées en tête : me rafraîchir, car j'avais autant de sueur sur le visage que Claude François après l'Olympia. Je pris la tablette dans les toilettes et devant le miroir, étudiai la mosaïque de vidéos.
Mosaïque, oui, c'était le mot. Tous ces gens s'amusaient, profitaient, échangeaient, ils formaient un tableau. Tout en haut, la caméra montrait un type à l'entrée proposer des cigarettes, le paquet tendu et aimable. Une main saisit l'occasion sur l'image de droite, empoignant un collègue comme Béné me l'avait fait, pour l'entraîner dans la fête. Ce petit groupe dansait sur la tête de Xavier qui buvait au bar avec Ahmed, alors il se gratta le cuir chevelu en riant. Ce fut communicatif, et tout un cercle de filles éclata de rire sur l'écran d'à côté, au point d'en faire chavirer le champagne. Juste en dessous, des garçons regardaient sous les jupes du château, passant sous les cordons de velours pour gagner la tourelle isolée. A droite, des témoins des méfaits de l'alcool applaudissaient en rythme les danseurs tombant la chemise, roulant par terre. Banjo, deux verres à la main, en était ébouriffé ; non loin de lui un collègue victime de calvitie dansait "Hot stuff" à la mode anglaise et donnait du plaisir à coups doubles à une femme rebondie sur l'écran suivant.
Ils étaient tous ensemble.
Et moi j'étais avec moi-même. Un agent de la sécurité ne protégeant que moi-même, avec mes douze écrans de contrôle et un treizième qui montrait un homme captant systématiquement le monde en négatif. Moi-même. Il faudra bien un jour que je me fonde dans l'histoire...
Sur les deux écrans les plus bas, je reconnus d'un côté Emma entourée de deux séducteurs, dans un salon au mobilier rougeoyant. De l'autre Pasquier, la démarche volontaire de celui qui sait ce qu'il veut : pisser. Il arrivait sur moi ! Dans un réflexe inextricable je glissai la tablette dans mon pantalon. Ne pas être vu avec cette machine, ne pas être pris pour un voleur ou un sadique... ? Quelle mouche à merde m'avait encore piqué ? La porte s'écarta gaillardement, Pasquier ouvrait déjà sa braguette, je bouclais juste ma ceinture.
"- Hey ! Laitier ! Gustave Laitier ! Vous vous éclatez ?
- Euh... C'est... oui ! Le DJ m'a explosé !"
Je voulais prouver dans un langage enthousiaste que, parfaitement intégré dans l'équipe, j'avais longuement dansé. Mais avec cette phrase lamentable, les doigts sur la fermeture éclair, le pantalon tendu, je sentis que ça dérapait. Pasquier regarda mes mains sur le bas-ventre.
"- Oh vous faites ce que vous voulez de votre corps, mon vieux. Ca ne me regarde pas.
- Non mais par "explosé", je voulais dire... sur la piste.
- Attention quand même à l'atteinte à la pudeur, dit-il en sortant son appareil.
- Mais...
- Je plaisante Laitier.
- Bien sûr... Bienvenue au Château de Saint-Priest.
- Eh bien... Merci."
Ce n'était pas moi qui avais sorti cette stupide réplique mais ce foutu iPad écrasé contre mon abdomen. Avant que le sous-directeur se demande pourquoi je lui parlais tout à coup comme un guide, je claquai la porte. Je voulais aussitôt gagner le salon rouge, y trouver Emma, mais j'étais quelque peu encombré. En me délestant prestement de l'iPad sous la nappe, le dancefloor me guetta.
"- Viens me faire danser, Felix !"
Bénédicte était passée à travers les murs de la house pour m'embarquer. Stage de rattrapage imposé, j'ai réintégré le grand tableau d'Elaq. Ma jolie geôlière devint cavalière sous les coups du rock'n'roll. Réapprovisionnés en alcool par le serviable Léo (qui me regardait toutefois d'un oeil de coq), j'appris à mon esprit à me lâcher un peu la grappe.
Puis dans la foule, Emma. Difficile de s'approcher d'elle avec Béné pendue à mon cou.
Le temps s'usait sur la piste. R'n'B ou funk, nos danses tendaient vers une même chorégraphie basique : le slow. Avec variantes cha-cha-chiant. Flanche, Flanche. Le postillon chargé, la hanche chancelante, ma collègue Flanche me répétait :
-" Me lâche pas Felix. Me lâche surtout pas ou je tombe.
- On pourrait s'asseoir...
- Non ! Surtout pas ! Si je m'arrête je gerbe. Me lâche pas Felix."
Je ne l'ai pas lâchée. Plus d'une heure encore. Peut-être par respect pour une complicité naissante, peut-être pour me raccrocher moi aussi au cou d'un prétexte qui me préservait du moindre risque. Emma finit par disparaître définitivement. Bilan de la récolte : deux sourires, une poignée de regards, un air compatissant, un doigt aguicheur pointé sur moi (d'accord, parmi vingt autres pendant les Blues Brothers, mais je le compte quand même).
Une fois Bénédicte posée dans un taxi toutes fenêtres ouvertes, je suis allé m'en griller une dernière, du tournis plein la tête.
Sous la lune, un petit gars attendait assis sur un rocher face au larmier de la biche de glace. La fonte, le jour.
PROGRESSION / REGRESSION
Dans les oreilles : The Divine Comedy "Absent friends"
"Tout a commencé à foutre le camp avec le téléphone portable. C'est là que les objets du quotidien ont commencé à supplanter nos priorités, à marcher sur nos plates vies, à pulluler à la façon d'un eczema. A grignoter notre temps. A nous grignoter. Tout à coup il fallait être disponible à chaque instant, être là, au milieu de tout le monde, à tout moment. Plus moyen d'être seul, de n'être personne. On a commencé à appeler ça des "sans-fils", on n'a jamais autant eu le fil à la patte. Tracés, traqués...
Voyez la Solitude, comme on l'a pendue haut et court sur l'arbre prolifère de la communication.
Il suffit de ne pas répondre ? Mais oui, c'est ça. Vous en connaissez beaucoup qui ne répondent pas ?
Le pire dans tout ça est l'obligation qu'on s'est nous-mêmes imposée de réagir sur le champ. Le portable, c'est l'immédiateté comme mode de vie. Cette antenne est notre aileron, on a fait de nous l'égal des squales : condamnés à la suractivité. On doit répondre à tout un tas de machins sans le moindre recul. Il faut dire où se trouve le dossier IN-X33, aller voir le prix d'un pneu 175 65 R14, chercher le nom du notaire de la nièce de la cousine du voisin. Le banquier est dans votre fauteuil, le patron dans votre pieu. Il faut justifier de sa position, même aux toilettes. Si vous ne répondez pas à votre sonnerie Rihanna téléchargée, on vous déclare mort dans l'heure. Les gendarmes débarquent chez vous avec un certificat de décès. Signez ici. C'est nous mêmes qui avons choisi.
Mais non, je me trompe, tout a commencé à foutre le camp avec internet. Quand la communication a cessé d'être un moyen ou un outil pour devenir une fin, puis une faim. Au début on s'est dit que c'était formidable. L'information, la culture, la connaissance à portée de clic. Plus besoin de subir le langage brushingué des journalistes télé, plus besoin d'attendre les horaires d'ouverture de la bibliothèque... Mais au lieu de surfer, on s'est pris la vague du net trop fort. On n'était pas prêt pour ce sport. On se noie, on s'envase. On se contente de trois sites favoris et notre curiosité est emberlificotée à la toile. On s'embourbe sur quelques pages aux ornières publicitaires.
On se fige.
L'orteil trempé dans un océan trop vaste pour nous, oui, on se fige, intimidé par trois ou quatre nageurs un peu plus téméraires, éclaireurs futiles nageant jusqu'aux bouées qui ne sont autres que les leurres d'efficacité du web.
Illusion de rapidité ! On obtient des réponses en dix secondes, on sait qui détenait le record du saut à la perche en 1956, on apprend quel est l'affluent le plus long de la Volga, on sait que tu dansais bourré au Caesar Palace hier à 23h40. Mais internet répond sans nous indiquer quoi demander. On ne pose toujours pas les bonnes questions aux moteurs de recherches : où va-t-on ? Dans quel but ? Comment faire avec la mort ? Comment faire avec l'amour ? Comment élever des enfants ? Pourquoi a-t-on besoin de croire en l'au-delà ? Pourquoi Jennifer Aniston ne fait que des navets ?
On croit gagner du temps.
On fait du surplace.
Enfin, je ne vois pas plus loin que le bout de mon nez. Tout a commencé à foutre le camp avec l'électricité ! Avant cela la famille se réunissait autour du chandelier, arbre généalogique du présent. L'homme vivait alors au rythme des saisons et du soleil. Quelle est cette idée folle de vouloir se dédouaner de la nature ?
Attendez, attendez... Je me dois d'aller au fond des choses, et là j'effleure la surface... Tout a commencé à foutre le camp lorsqu'un petit malin a inventé la roue. Voilà que les rois ne voulaient plus attendre pour faire ériger leurs palais, faisant claquer les fouets de plus en plus vite... Mais bon... C'est vrai que sans la roue...
- Banjo ! Allez, va falloir rentrer maintenant.
- Mon dieu Merlin. Je crois que je viens de réaliser que je suis un con.
- Un technophobe tout au plus. Mais c'est pas grave : plus personne ne t'écoute, ton public est parti. Et il se fait tard, le château va fermer ses portes.
- Mais où sont... ?
- ... Toutes rentrées. La bonne nouvelle c'est que la Solitude n'est finalement pas morte : tu parles seul sur ce canapé depuis une demi-heure.
- Ah... Deux derniers verres pour la route ?
- Tu as assez bu.
- Bon ok, un seul.
- Même tes gamelles tu les négocies mieux que ça. Allez, on y va.
- Où est mon téléphone ? J'ai peut-être des messages."
J'ai déplié Benjamin, la tangue aux genoux, et nous avons gagné les vestiaires l'ébriété en marée haute. Au fond de sa poche il a retrouvé son téléphone et huit messages. Au fond de la mienne, un tissu. Oh non... Ca continue !
COPIER / COLLER
Dans les oreilles : Miossec "Chanson que personne n'écoute"
Au sommaire :
Dimanche - la menace
Lundi - Le ravissement
Mardi - Le kidnapping
Eliminer les défauts... Il semble que pour quelqu'un j'en sois un.
A cinq cent mètres du château, nos petits pouces élevés implorant un véhicule, Banjo et moi avons tracé nos chemins de clopinettes, transpercé le froid (qui nous l'a bien rendu). Mon camarade reniflait bruyamment toutes les six secondes, grasse ponctuation à ses divagations philo-phobiques. Il tendait son pouce au moindre son de mobylette, de groupe électrogène.
Pour ma part, les mains plongées au plus profond des poches, je sentais l'agréable étoffe de soie. Apprenti en braille, mes progrès étaient effarants : mes doigts lisaient le message qui tranchait avec la douceur du tissu. Depuis, Banjo s'est mouché dedans, et le mouchoir trouvé dans la poche de ma veste dit ceci : DE AVE MENT MIS NE.
Le monde est une roue, un cycle menstruel, une répétition du chaos uniforme.
Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.
COPIER-COLLER copy and paste
_E__AM_N
Je demande le J et je propose Benjamin !
Suite à un coucou - courageux courrier - dès lundi matin, les échanges allaient bon train avec Emma. Pas à grande vitesse, mais de quoi me ravir. Debriefing de la fête au château, classement des employés les plus saouls ou les plus vulgaires (j'évitai décemment de citer Béné, un peu gênée en cette journée), constat - navré pour moi, neutre pour elle - qu'on ne s'était pas croisés, chacun alpagué par nos collègues... Ceci nous mena à cet enfantin jeu de pendu pour définir les nommés des Pot-de-colle Awards de la soirée. And the winner is... Benjamin ! Je savais que Le Guen avait servi à Emma des tartines de culture mais elle n'avait pas non plus échappé aux harangues on the rocks de Banjo.
Sommet de gloire, elle me demanda quelques conseils botaniques, souhaitant redécorer son hall d'entrée. Matador acclamé, je lui répondis avec panache ! Je ne lui envoyai pas une idée mais une forêt ! Une jungle de liens vers des photos exotiques. Du copier jusqu'à plus soif, à foison du coller !
Et puis voilà... Il fallut que je déborde, que je me prenne les pieds dans le tapis de souris. Que je trébuche.
Le monde est une roue, un cycle menstruel, une répétition du chaos uniforme.
Rien ne se perd, rien ne se crée tout se transforme.
PLAGIAT
Nom masculin singulier
1 fait de copier une oeuvre en se l'attribuant
2 copie
[antonyme] création
Source Reverso.net
Je trébuchai sur un tronc mort en revenant de la rivière, et m'étalai dans le givre. Je laissai une trace de cadavre aux contours pleins. Personne pour me voir, un bon point. Par ce froid tout le monde s'enfermait dans les salles de réfectoire, invoquant la chaleur humaine. J'avais besoin au contraire de me rafraîchir les idées, de courants d'air. Les e-mails avec Emma m'absorbaient, au détriment de mon travail. Pourtant il n'y avait que quelques blagues et aucun sous-entendu de complicité durable ou de séduction dans ses messages. Je livrai donc mon esprit aux vents d'hiver afin qu'ils lénifient son inflammation.
A la sortie de la clairière, alors que j'essuyai encore les amoncellements glacés sur ma veste, je vis une voiture grise longiligne qui, quand je ralliai les orées de bitume, accéléra sur moi. Rutilante menace, le bolide lançait sa coupe d'argent, Elaq dans le rétroviseur. Le capot captait mon pas carapaté. Un rapace couronné entre les phares, le bec assassin ! Le logo de la Saab pila, ses quatre roues aussi, dans un cri. Remake fastueux, la furieuse voiture de Pasquier m'avait frôlé comme je l'avais fait avec la Directrice quelques jours plus tôt, quasiment au même endroit. La fenêtre passager descendit et de haut en bas, comme les photos de filles sur internet, le visage bouffi de ma patronne apparut.
Le monde est une roue, un cycle menstruel, une répétition du chaos uniforme.
Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.
"- Montez Laitier.
- Derrière ?
- Non, sur mes genoux.
- Derrière donc...
- Vivacité d'esprit, bien !"
Je grimpai à l'arrière de la voiture. L'auto-stop avait fini par fonctionner. Banjo était posé devant et, bouche ouverte, fixait avec terreur le conducteur qui se frottait les narines blêmes avec frénésie. Sa voiture rouge coco poudrée d'escampette débaroulait, aspirant de la ligne blanche, bouffant de la départementale voracement. Le jeune pilote parlait aussi vite que sa bagnole tunée. Ses mains racontaient des histoires de nanas tandis que son volant évitait les platanes. Lui évitait une syllabe sur trois. Il répétait des questions à un Banjo scrutateur qui demeurait muet, incapable de décoder son hôte, cramponné à sa ceinture de sécurité.
La trance cognait si fort les baffles que nos oreilles auraient pu saigner. Ce fut pourtant du nez de notre conducteur qu'un filet rouge coula. Après trois tentatives, il finit par me faire comprendre qu'il avait besoin d'un mouchoir. Je lui signalais que le seul en ma possession avait été récemment utilisé.
"- S'en fout ! Aboule !"
D AVE MENT S N . C'était tout ce qui restait du message original, celui qui avait ravivé mon ivresse aux vestiaires du château. Il avait été noté au feutre rouge, l'écriture neutre bavant un peu sur la fibre :
DERNIER AVERTISSEMENT : DEMISSIONNE.
Le moteur ronflait à s'en faire péter la luette, les virages me firent fermer les paupières. Et tout en me demandant qui avait pu distinguer ma veste basique parmi toutes les autres pour y glisser le carré de soie, et si les filles du vestiaire étaient dans le coup, je me répétais la menace réitérée. DERNIER AVERTISSEMENT : DEMISSIOOOOOOO NNE. Le pilote speed avait écrasé le frein. Banjo le regardait, toujours hagard, insensible à l'odeur de caoutchouc brûlé.
"- Les gars ! Y a des putes, là ! Ca v'dirait qu'on s'tape des putes ?"
Le monde est un cycle menstruel, une répétition du chaos uniforme, une roue.
Tout se transforme, rien ne se perd, rien ne se crée.
Putes hispaniques, baise barcelonaise !
Voilà le contenu du dernier lien que j'avais envoyé à Emma. Une petite touche personnalisée, un clin d'oeil, c'est ce que je cherchais en tapant sur Google "Belles plantes espagnoles". Tout en lui donnant de vrais conseils d'ornements végétaux, je souhaitais évoquer à la jeune femme ses origines. L'amandier, original... J'allais l'aiguiller sur ce site. Excitation, précipitation, manque d'attention, je lui ai copié et grassement collé l'adresse du dessous.
"Merci pour toutes tes idées. Je suis quand même moins convaincue par la dernière. Je pense que ça ferait tâche dans mon entrée." Je ne comprenais pas cette réponse. J'ouvris avec horreur le lien.
Branlettes espagnoles, partouzes andalouses !
Mais pourquoi le sort s'acharne-t-il ainsi sur moi ? Pourquoi le ridicule me tue-t-il à petit feu ? Serais-je un personnage de fiction dont l'auteur se délecterait de faire de moi un poissard ? Est-ce que je peux me fabriquer une porte pour m'arracher à ça ?
Le monde est un cycle menstruel, une répétition du chaos uniforme, une roue.
Tout se transforme, rien ne se perd, rien de secret...
C'est en revenant sur ma gaucherie que je tentai de rebondir auprès d'Emma, lui décrivant ma méprise quant au lien, et ma maladresse chronique, allant jusqu'à rappeler que j'avais été également ridicule dans le jardin d'hiver quelques semaines plus tôt. Elle fit encore une petite référence à cet épisode passé, puis plus rien.
Après la ola, le holà.
"- Haut les mains !"
Obéissant, je commençai à lever bêtement les mains et me ravisai à temps. Le sourire blanc et fer de mon kidnappeur m'apaisa. Eddy était assis derrière Pasquier. Un diffuseur à la lavande avait raflé l'air dans la voiture du sous-directeur. Ecoeurant. La presse venait d'annoncer la faillite de Saab et j'associai cette odeur à la pourriture, à la dégénérescence.
"- Vous étiez en ballade Laitier ? demanda Pasquier.
- C'est balade avec un seul "L", péteux ! Ballade c'est la chanson.
- Comment vous pouvez savoir comment je l'écris ?
- C'est moi qui retranscris cette conversation sur mon blog, je rajoute ce que je veux !
- Très bien, je m'incline... Et si on reprenait ? De manière réaliste ?
- Quand je le déciderai !... OK, maintenant :
"- Vous étiez en balade Laitier ? demanda Pasquier. Par ce froid ? Nous aussi on s'est baladé : après manger on est allé faire une visite concurrence. Et on a un problème.
- Un sacré problème, appuya la Directrice.
- C'est pour ça qu'on est venu te récupérer quand on t'a vu.
- Compris. Et quel est ce problème ?
- Espionnage industriel, répondit la passagère."
Transpiration soudaine au niveau du front. Je n'aimais pas la tournure que prenait ce conciliabule automobile.
"- On vient de trouver chez Biolophile une grande partie de tes produits, développa Eddy. Les pots de fleur solaires luminescents, les fils invisibles, les cactus en forme de coeur, l'analyseur d'engrais, le liège, tout ! Tout y était !
- Mais j'ai négocié l'exclusivité de ces articles !
- Ce sont d'autres marques, affirma Pasquier. Ce qui rend la coïncidence d'autant plus improbable. Corollaire, nous avons sans doute au sein d'Elaq quelqu'un qui nous plagie, qui revend nos idées..."
Mes idées.
"- ... Et nous voulons savoir qui, conclut notre cheffe.
- Vous jouez double jeu, Laitier ? demanda le conducteur en redémarrant."
Je m'indignai d'une voix aigue que je ne me connaissais pas, comme si le manque de preuves pouvait être comblé par l'intensité stridente de ma protestation.
Chercher de l'aide dans les yeux d'Eddy...
"- Ok, on te croit Felix."
La passagère se retourna.
"- Mais il faut qu'on trouve au plus vite qui nous trahit, qui a accès à vos dossiers assez en amont pour les transmettre en des temps records à Biolophile. Une idée de qui ?"
J'en avais bien cent cinquante qui se télescopaient. Pasquier gara sa voiture et les trois visages coupèrent le contact de mes neurones.
"- Aucune non. Désolé..."
Je ne les convainquais pas vraiment. On parla un moment de la marche à suivre, du fait que je ne devais rien laisser paraître tout en me montrant vigilant. Je les assurai de ma coopération mais sentis la confiance des deux dirigeants s'effriter.
Je sortis du bolide nauséeux sur le trottoir des dames à macs, en me demandant si je n'allais pas perdre mon innocence tarifée (le petit Arthur me remit sur le droit chemin), et du bout des doigts offris le soyeux tas carmin/caca d'oie au caniveau.
Je sortis du bureau penaud, en me demandant si à enchaîner les bourdes je n'avais pas perdu mes chances de mieux connaître Emma.
Je sortis de la salle de réunion à turbocompresseur abasourdi, en me demandant si je n'étais pas en train de perdre mon job de rêve.
Le monde est une roue,
Rien ne se crée,
un cycle menstruel,
tout se transforme,
une répétition du chaos uniforme.
Tout se perd.
A force de craindre la création, on tourne en rond, et on génère un tourbillon.
MONOLOGUE D'UN MONITOR
Dans les oreilles : Lana Del Rey "Video games"
MONOLOGUE D'UN MONITOR
Quatre accords de piano pour une semaine. Il a planté son mini-jack à ma base et s'est abrité sous son casque. Sous sa peau vitreuse, il pleut. Son hibernation s'est accompagnée d'une Bande Originale de Vie obsédante comme un vinyle rayé. La voix féline de Lana Del Rey a peloté son ronron quotidien. La même chanson a filé dans ses oreilles, encore et encore, toute la journée, et encore, toutes les journées, tandis que l'écheveau du temps s'est délié au pas, baudelairien, le long de ce que j'appelle son DDD. Deuil à Durée Déterminée. Les vacances d'Emma sont une petite mort. Dans une semaine il reprendra, j'espère, ses petits dialogues écrits, et je suppose qu'il cessera de me fixer ainsi.
Regard éteint.
Iris d'étain.
Cornée déteinte.
Et la pupille dépeuplée.
Il est en train de devenir accro. Je n'ai pas de meilleure définition.
Son air amorphe, son dépit taille XL me hérissent les pixels. En plus il m'épie depuis cette affaire de copie concurrentielle, comme si ses idées allaient sortir à pied de chez moi pour se faire la malle chez Biolophile... Alors il ne me quitte pas des yeux. Il réussit même à m'embrouiller à sans cesse changer de mot de passe pour davantage de sécurité. La trouille lui a donné du zèle. Par contre il faut voir la gueule des passwords ! Emma 2011, EmmaVella, Emmamanqué (ce dernier constituant son pic d'humour pour la période des Fêtes : joyeux Noël !).
Le blocage est tel avec elle, qu'il croit parfois entendre ses talons. Son corps lâche sursaute, il temps l'oreille au-delà des harpes hollywoodiennes de la chanson et se rendort, se rend, se rend à l'évidence. Elle est absente. C'est sur les os de sa boîte à fantasmes que les talons crânent.
En apnée sociale. Il y eut un seul créneau où je l'ai vu émerger de son nautisme avant de replonger dans son autisme ; dix minutes pendant lesquelles il a raconté au type dans mon dos, Vincent, qu'il avait reçu lors de la soirée d'entreprise un nouveau message lui intimant de quitter Elaq. L'autre n'en revenait pas. De sa petite voix, il élabora des théories à 16 millions de couleurs, proposa de faire un tableau alambiqué des personnes sans alibis présentes à chaque apparition de menace ; en tirer des croisements. Il suggéra de relever l'écriture de tous les employés dans le but d'enserrer le coupable dans les filets de la graphologie. Une idée en amenait une autre, Cluedomino ! Et si on installait une webcam (oh oui ! Une copine !) qu'on laisserait allumée ? Il demanda à voir le fameux mouchoir, et d'apprendre que ce demeuré avait jeté l'indice, son élan fut fauché.
Mon propriétaire a repositionné son casque. Kissing in the blue dark, playing pool and wild darts, video games...
Monotone scopitone.
J'espère qu'une fois en 2012 il fera comme moi. Qu'il prendra de bonnes résolutions.
01.01.12
Dans les oreilles : Singtank "The party"
Je me suis réveillé aux côtés d'Aude, la fille à la robe blanche. Bonne année ?
Sur les vagues de ma couette, ses cheveux en pagaille navale. Quelques mèches tantôt coquines tantôt colères m'extirpèrent de vingt-mille lieues sous les rêves. Entortillée dans mes draps, les cils au lit, la cheville droite frivole, elle dessinait un sourire naïf au-dessus d'un filet de bave. J'imitai ce sourire et me repris juste avant que cette vision angélique ne stimule de même ma salive.
Je me levai. Sur le chemin de la cuisine je vérifiai que je n'étais pas nu. Le premier dilemme de l'année me nargua devant la machine à café, où ma mémoire quémandait expressément un stimulant bien serré ; devais-je réveiller mes souvenirs ou Aude en premier ? Pas avare en astuces, je pris une serviette-éponge dans la salle de bain afin de couvrir l'appareil et d'étouffer le bruit de la capsule clonée pulvérisée sur l'autel de la caféine.
Première gorgée.
Serpentins, sarbacanes, alcools têtus, chapeaux pointus. Palmade, Beigbeder, Loana, tous auraient voulu décrocher une invitation à la soirée le plus hype de France, le Réveillon du Cous'. L'insaisissable Aude avait, elle, eu cet honneur. Je cherchai à quel moment l'échange s'était installé entre nous dans la soirée, dans quel canapé j'avais calé ma séduction. Et ne trouvai pas. Tout comme la dernière fois, le papillon avait virevolté dans l'appartement buddha-barisé pour l'occasion, sans que je ne puisse faire mieux que l'effleurer. En rien nous n'avions convolé. Alors comment le joli cocon blanc lové dans mon lit avait bien pu arriver là ?
Deuxième gorgée.
Chairs excitées, salades de langues, doigtés salaces, turlutes itou, chapeaux pointus. Les gros plans secouèrent ma tasse : clair pubis à travers le pêne hissé de la porte, jets sans gêne. J'avalai de travers, mon palais trop jeune et mes yeux encore trop collés d'une humeur enfantine. Une quinte de toux me secoua et la cheville d'Aude tournicota. Qu'avais-je souillé cette peau blanche ? Et quelle idée d'oublier de telles fièvres ?
Anomalie : les images pyrotechniques qui éclataient dans le ciel pornographique de mon cerveau ne correspondaient pas aux boucles brunes de ma visiteuse. Ô, la belle blonde !
Ca me revenait... Après le buffet, le concours de limbo, un madison bimbo, les gages tequila, le cours de fléchettes, la course de shots, une partie de golf au parapluie, la guerre des cotillons, les gages vodka, un bourrin alluma la télé. Les insectes attirés par la lumière accumulèrent un tas de rire devant l'écran. Bêtisiers. Zapping en série. De l'image qui tilte, du choc à la seconde, des refrains de pubs, de l'abattage de fou rires, du concentré de fours, des sketches sans chutes, des chutes sans sketches, bref, la mie sans la croûte. Après une heure épileptico-cathodique, Gilles prit une crise contre les téléphages et muscla la programmation en changeant de chaîne. Il fit cracher une purée X bien décodée : une blonde qui s'était payé son 95 D travaillait son regard arrogant envers et contre les secousses ; fallut s'accrocher ! Les invitées s'indignèrent et moi je collais aux coussins, incapable de relever mon corps alourdi par l'alcool, le cul entre deux cheers ! , spectateur pénétré par des images d'orgies. Assis à côté de moi, un type couvert de serpentins que je ne connaissais pas me dit sans quitter le porno des yeux :
"- Eh ben... il a pas bu que du p'tit lait, Laitier !
- T'es... T'es qui ?
- Le mec aux serpentins."
Je suppose que ma mémoire me fait défaut et qu'il m'a donné un prénom mais je n'en jurerais pas.
Le champagne s'évapora un peu de mes tempes, mon champ de vision s'élargit.
Il y avait une bouteille sur la tête d'Aude. Il y avait Aude sur une armoire. Elle répétait les gestes de la brasse. Mais je n'en jurerais pas non plus.
Troisième gorgée.
Je me demandai si elle était nue sous la couette. Je cherchai des sous-vêtements sur mon tapis, sur la chaise, et même dans les plantes du balcon. A part un tas de draps, rien. Son nez la chatouilla. Ses mouvements reprenaient doucement vie. Il fallait vraiment que je me rappelle, que je remonte le fil...
"- Remontez cette corde ! Remontez cette putain de corde ! Eh, là-haut ! Oui, toi, Mec aux serpentins ! Aide-moi !
- Mais c'est pas une corde, c'est des draps ! Sales.
- On s'en cogne !"
Je hurlais depuis mon balcon.
Tout avait commencé vers 5h00 alors que je venais de rentrer et prenais de l'aspirine dans le noir, au bord de ma cuisine (et donc au bord de ma chambre, au bord du balcon, au bord de l'entrée). Ma persistance rétinienne tournait au ralenti : en finissant mon verre d'eau je voyais encore les reflets d'inox de l'évier. C'est pourquoi je mis un moment à comprendre ce qui pendait devant ma fenêtre. Une branche ? Une colonie d'oiseaux ? Spiderman ?
Fée fêlée flottant au fil du vent, Aude balançait ses pieds contre ma vitre, gracieusement accrochée à son tissage. Je recrachai mon eau, mon cachet rebondit contre la porte-fenêtre. Elle, elle était hilare ; aucune trouille sur son treuil de treille, à trente mètres au-dessus des poubelles pleines de sapins dégarnis. Elle avait confectionné son armature d'un noeud solide au balcon de Gilles et descendait joyeusement.
"- Surveille-là Laitier, je vais voir si je trouve une poulie pour faciliter la remontée.
- Une canne à pêche, tant que tu y es ! Mais Mec aux serpentins, attends !"
Dans l'élan de sa disparition, les colliers de papier se dénouèrent de son cou. Un filament polisson s'agrippa aux orteils d'Aude qui s'en débarrassa d'un coup de pied dans mon front. C'est emmerdant les serpentins, à la fin ! Comme tous ces artifices de fêtes qu'on se force à trouver amusants : une simulation d'orgasme collective.
"- Eh mais je te reconnais, fit la funambule chamboulée. T'étais là-haut ! Comment tu fais pour être sur ce balcon ?
- Un truc dingue : l'ascenseur. Je te montrerai, mais en attendant je t'en prie, tiens-toi bien !
- Oh oui, pas de souci. J'ai l'habitude je fais de l'aquagym tous les mercredis.
- Je ne vois pas trop le rapport... Ecoute, essaie de descendre un peu et je vais te rattraper, d'accord ?
- D'accord, comme à l'aquagym !
- Très bien, alors je vais compter jusqu'à..."
Elle sauta.
J'aimerais décrire une scène héroïque où nos mains glissent, où mes biceps se bandent au point de la hisser sur le rebord. Mais Aude atterrit devant moi, comme une fleur de plus. Puis je reçus un paquet acrylique sur la tête. Deux étages plus haut, quelqu'un avait détaché les draps que la jeune femme avait noués sans s'inquiéter davantage de son sort. Tout cela aurait fait une très bonne pub sur les ravages de l'alcool.
"- Qu'est-ce qui t'a pris de faire ça, Aude ? Tu te rends compte que tu aurais pu t'écraser ?
- Tu es encore plus barbant que la soirée du dessus ! Je rentre chez moi."
Balustrade enjambée, elle partait sans ses ailes. Je me précipitai mais gardai en tête comme tous les hommes, que par bienséance je devais éviter de l'attraper par les seins. Si une lutteuse gréco-romaine essayait d'étrangler un homme, il en serait encore à chercher à se défaire de ses prises sans toucher cette zone idolâtrée. Je lui saisis donc la taille et ramenai son corps instable à l'intérieur.
"- Je vais me coucher, dit-elle alors en ôtant sa robe."
Et elle se glissa dans mon lit, redevenue chenille.
Je me laissai tomber à côté et m'endormis dans ma transpiration.
Quatrième et dernière gorgée.
Une floraison de sucre. Cela faisait un mois que cela ne m'était pas arrivé : ma première pensée matinale n'était pas allée à Emma. Aude sortit ses épaules des étoffes bouffantes qui l'enveloppaient :
"- T'es où ?
- Chez moi...
- Mmmm... J'ai contracté mes questions. Je voulais dire "t'es qui ?" et "on est où ?"
- Toujours chez moi, le cousin de Gilles, deux étages en dessous. Tu es venue en draps.
- Ah... Et tu t'appelles ?
- Felix. Tu veux un café ? J'ai une édition spéciale qui remet les idées en place."
Elle sourit enfin et accepta. Pendant que je cherchais une capsule dos tourné, elle remit sa robe.
"- Pourquoi ta cafetière a une burka ?
- Ah la serviette ? C'était pour faire moins de bruit et te laisser dormir.
- Tu es vraiment attentionné. Mais dis-moi euh... Felix... Est-ce qu'on a... ?
- Non, non ! Du tout !
- Tant mieux."
Tant mieux...
Ces deux mots avaient scindé mes sentiments en deux : vexation / fierté. J'aurais eu l'impression de tromper Emma.
Elle se douche. C'est bizarre. Alors je commence ce chapitre de mon blog.
Je lui sers un jus de pêche et des pains au lait. Nous trempons nos souvenirs en marmelade afin de les rassembler, doutons de quelques scènes, trions des céréales, notons que c'est réel. Je lui conseille de ne plus sortir sans parachute. Comme toute réponse, elle disperse de la main les volutes au-dessus de sa tasse. Quelques tartines plus tard, et malgré nos discussions agréables et légères, le papillon repart simplement, pieds nus et par la porte, en me remerciant sur ces mots de circonstance :
"- Alors très bonne année..."
L'AMOUR DURE 3 BITS
Dans les oreilles : Chet Baker "I fall in love too easily"
Je dois vous faire un aveu. Je tombe très souvent amoureux. En Italie on dirait que je suis un farfelu "farfallone", un gros papillon. Ici, on décrirait cela à l'aide de l'expression courante "il a un coeur d'artichaut" : la fibre avenante, les bras tendus sur le Corcovado, un coeur décorticable dont chaque feuille est amour. Sauf que je ne le vois pas comme ça mon coeur.
Mon amour ne s'épluche pas, je ne suis pas éparpillé, et mes sentiments ne sautent pas sur tout ce qui bouge. Ce n'est pas open-bar. Je n'aime pas deux ou trois filles à la fois. Non, chez moi un amour chasse l'autre à coup de maillet massif, comme le printemps repousse l'hiver.
Le problème, c'est qu'il n'y a plus de saison ma bonne dame ! Et si mes premières relations ont bénéficié de développements durables, j'ai bien dû admettre que - de même qu'on constate aujourd'hui que le printemps se décalotte déjà - le temps se détraquait. Tout s'est emballé sauf mon coeur : Marion a gentiment écarté Lisa, mais a été bousculée par Beth, elle-même giclée par Stéphanie qui se trouvait sur le siège éjectable déclenché par Lucie.
J'ai été incontestablement amoureux de ces filles, mais les ai remplacées dans des délais de plus en plus courts. Un performant système d'écluse me vide et me remplit, huilé par un ingénieur parfaitement rôdé. A force de tomber, tomber, tomber amoureux je me dis que ma vie ne tient pas debout. Ou bien est-ce que dans mon cas on ne devrait pas dire : je trébuche amoureux ? Il est vrai que je me relève vite, mais toujours à l'aide d'une nouvelle frimousse où fricoter. Pour un temps...
Comprenez bien : je parle là de mon coeur, pas de mes conquêtes. Il a sa vie propre, il est très indépendant et n'a pas besoin d'être vénéré en retour pour palpiter. Cependant, lors de vraies relations construites, il ne me laisse plus le temps de poser mes valises. Il se fait la malle, ailleurs s'empale. Et quand il se repose un peu, c'est la fille qui se lasse.
Je crois qu'on ne se laisse plus la chance de durer, séduits par les programmes publicitaires d'un décolleté qui passe, d'un rebondissement de fesses, d'un torse, de tablettes de chocolat, d'un strabisme clinquant, ou que-sais-je... Toutes ces tentations défraîchissent les plaisirs d'une vie simple à deux. On nous sèvre à l'immédiateté, à tel point qu'attendre qu'une relation se consolide, que les bas redeviennent des hauts, semble aujourd'hui insurmontable.
La patience est le concept qui a subi le plus grand génocide de ces dernières années. Le web est un boucher.
C'est pourquoi j'ai eu peur à la rencontre d'Aude. Peur qu'elle mette le fameux coup de maillet à Emma, et que tels les flashes d'images sporadiques du 31 décembre, mon coeur ait une fois de plus zappé.
Mais non, nos échanges de mails ont repris, assez diligemment. Cela ne contrecarre pas mes questionnements mais à ce jour, toujours et encore c'est dans les terres charbonneuses d'Emma que je voudrais m'enraciner.
Me remémorant les discours désertés de Banjo lors de
"- Jim Morrison voulait le monde et le voulait maintenant. Notre génération veut tout, tout de suite, gratos. Pas vrai Banjo ?"
Son téléphone sonna mais, interpellé par ma remarque, il se contenta de décrocher et de laisser le haut-parleur, ne faisant quasiment pas cas de son interlocuteur :
"- Bonjour Benjamin, comment vont tes affaires ?
- C'est pas mal, me dit-il... Belle référence...
- J'étais en train de me demander si l'immédiateté dont tu parlais l'autre soir affectait aussi nos envies.
- Tant mieux, tant mieux. Et j'ai finalisé mon offre, ça va encore te réjouir ! Pour les os en calci...
- Oh mais il nous fatigue lui ! fit Banjo en coupant le haut-parleur. Bon, on avance là, je vois que je ne parle pas dans le vide !
- blabla commercial lointain
- Tu es en train d'écouter "Strange Days" en entier pour la troisième fois de la journée. Pour ma part je me rends compte que je n'écoute plus que des bribes d'albums. Je compile, j'empile de la playlist, je picore la musique. Je zappe. Il n'y a pas si longtemps j'écoutais en boucle un nouveau PJ Harvey. Qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui je ne désire passer que le temps de deux chansons avec elle ?
- Très bien, mais déjà laisse-moi te dire que tu ne vas pas assez loin.
- blabla commercial lointain
- C'est-à-dire ?
- Fais l'effort d'aller au bout de ta démarche. On ne parle pas de musique, là...
- blabla commercial lointain
- C'est vrai que je me pose les mêmes questions pour les filles. L'amour dure trois fois rien ! J'ai la sensation de m'être laissé embarquer par un rythme effréné, de m'être habitué à ça. Et d'avoir décliné ma surconsommation de musiques, de séries, de baskets, aux sentiments. Je crains que ce rythme affecte la vie à deux. Et...
- ... on ne peut pas se satisfaire de ça.
- blabla commercial lointain
- Voilà, approuvai-je. On s'auto-génère de l'insatisfaction. Je me demande si cette surenchère du besoin ne finit pas par bouffer aussi notre vie amoureuse. Tout a tendance à s'accélérer, ce qui laisse le temps à nos vies de se remplir de quantités d'expériences. Mais si ces expériences n'ont pas de profondeur...
- ... multiplier les quantités ne sert à rien !
- blabla commercial lointain
- Mais je ne sais pas si je saurai m'isoler de ce rythme, me concentrer sur une seule fille...
- Il n'y a que si le programme est nul qu'on en change, dit-il en mimant une télécommande avec son téléphone.
- blabla commercial lointain
- Ah Saint Etron, reprit-il doucement en réactivant le haut-parleur, est-ce que cet escroc va se taire ?
- Tu as fait une formation en négociation Benjamin ? Je ne t'ai jamais vu aussi intraitable... Bon, très bien je te les fais à cinquante centimes pièce, et dix pourcent en remise arrière. Tu m'as saigné. Je peux pas aller plus bas !"
Un subtil mélange d'incompréhension et de fierté se peignit sous les grosses lunettes de Banjo.
"- Vendu ! Tu vois, quand tu veux..."
Il raccrocha, interloqué. Une négociation rondement et inconsciemment menée.
"- J'ai divisé mon prix d'achat par deux... comme ça... En disant quoi ?... Je suis un foutu pro. Le monde m'appartient !
- Tout, tout de suite, demi-tarif. C'est un bon début !"
Il remballa sa vie de bureau en trente secondes et passa sa parka militaire. Sa sale humeur avait claqué des talons.
"- Tu ne manges pas là ? demandai-je.
- Affirmatif. Après-midi de congé.
- Attends, laisse-moi deviner : stressé toute la matinée, shampoing pompeux du matin, chemise qui a connu le fer... tu as un rencart.
- Affirmatif.
- Tu la rencontres à midi... ce n'est donc pas le premier rendez-vous sinon tu aurais choisi un vendredi soir, plus opportun. Il y a de l'enjeu puisqu'elle te met la pression, donc tu commences à la connaître et sait qu'elle peut t'apporter beaucoup de bonheur. Ce sera la troisième fois que vous vous voyez.
- Cinquième. Sinon tu as tout juste, Sherlock. Même si tu es complètement à côté de la plaque ! Avec elle, je ne veux surtout pas que ça dure."
La seconde d'après il courait dans l'escalier.
Banjo victime du grand coup de maillet ? Il n'y a plus de saison !
COEURRICULLUM VITAE
LE CV AMOUREUX
DEGRES DE CONFIDENTIALITE
Dans les oreilles : The Pierces "Secret"
Mon oeil a pris ses aises et flotte dans la loupe comme un gros bol de soupe aux bolets. Il bouge par à-coups, animal, à l'affût, et se cogne contre le contour de fer. Sur les trois pots les plus récents de mon balcon, trois pousses, chacune observée par ce Big Brother attentif. Dans le premier terreau fleuriront des germes de nicotiana, dans le pot suivant les prémices des ailes de mon jasmin d’hiver s'apprêtent à se déplier, et au milieu du dernier s’animent déjà les pastels de crocus.
Les fleurs sont tout comme les secrets, ce sont les mieux gardées qui sont les plus précieuses, et pourtant si tout le monde les ignore elles n’ont plus d’intérêt.
Ces trois petits réservoirs de terre m’évoquent pleinement le trio d’indiscrétions plus ou moins bourgeonnées qui me sont parvenues aujourd’hui.
Un bouton bataille contre son terreau et creuse sa tranchée verticale, la naissance en tête, la tête nue sous un tertre craquelé. Une fleur de tabac aux abords de la vie. Immanquablement je repense au non-dit défloré d'Emma. A ce secret enfoui, rond, encore insaisissable qu'elle m'a glissé entre les lettres d'un e-mail.
Il m'en avait fallu de la réflexion pour trouver le moment où je lui proposerais de prendre le thé avec moi. Depuis quelques semaines, nos échanges écrits ont suivi des jalons qui rendaient difficile une quelconque déviation. La routine est un insidieux berger, bien prompt à vous paterner. Alors j'ai dû peser le pour, le contre, les contrepoints, les pourcentages, et convertir des grammes en tonnes pour me convaincre que c'était le moment.
Après avoir désherbé quelques phrases (une vingtaine) que je ne trouvais pas dignes de cette adulescente invitation, je choisis la simplicité :
"Et si nous prenions un thé sous la verrière ?"
Eddy posa ses mains sur mon dossier de siège et je me mis à cliquer frénétiquement sur ma souris. Mes spasmes sporadiques n'atteignaient aucune cible apte à faire disparaître mon message. Je poursuivis ma quête clapotante tout en captant son regard que je fixai sans relâche. Tandis qu'il me parlait de retours de stock, je décidai de discrètement éteindre mon monitor - comme si un écran ravalé par les ténèbres tenait de la discrétion. Eddy eut la gentillesse de ne rien relever et acheva son ordre par un "capisci ?".
"- Perfetto", sortit niaisement de ma bouche.
Dès qu'il eût déplacé sa silhouette blanche vers les Curie, et avant que je me demande si ma réaction ne lui attiserait pas des doutes quant à mon soupçonné double jeu avec Biolophile, j'envoyai mon message. Je reçus la réponse d'Emma tandis qu'elle passait derrière moi en direction de la serre et l'excitation mit le feu à mes artères. Sans doute me donnait-elle rendez-vous... Mais non. Bien au contraire.
Emma m'avouait qu'elle préférait rester discrète et se contenter d'échanges écrits pour le moment. Une très mauvaise expérience professionnelle récente... Langues de vipères...
Réflexe de gardien de chut !, je ne relançai pas. Elle le nota et m'en remercia.
Et les fragiles sourires assortis que nous avons tissé à son passage suivant m'embobinèrent tous les organes capables d'aimer - les autres étant occupés à se demander quel vent mauvais avait bien pu lui nuire...
Deux feuilles de jasmin attendent pudiquement que je détourne ma loupe pour se déployer. Mais je vois en elles les plaisirs que leur trip attise. Poussées par l'élan d'un atome volage, les lolitas se décollent et se dévoilent. Avant qu'un jour leurs pores s'emplissent d'un parfum féminin, elles se révèlent, rien qu'à moi.
Vincent voulait me déballer quelque chose. Les gestes maladroits, il m'invitait silencieusement à le rejoindre du côté de son bureau. Depuis une heure, le baromètre de l'enthousiasme anormalement élevé, il triait des dossiers, jetait des stylos promotionnels secs, accumulait la paperasse sur un coin de son bureau, entassait des fascicules cornés, découpait toute langue dehors, brassait de la poussière. Il était si penché dans son tiroir qu'on aurait cru qu'il y avait installé une couchette. Lui qui d'habitude laisse son bureau au carré millimétré, qui vérifie avant de partir jusqu'à l'ordre de ses touches de clavier au cas où il ne serait pas azerty d'un changement, qu'est-ce qui avait bien pu ainsi tacler ses tocs ? En vrac, le bureau !
Je fis le tour de la tablée et approchai son chantier. Toujours en pleine action, Vincent accrocha une série d'élastiques sur le cadre photo d'où l'air fier de sa petite blonde de femme en prit un coup. Puis il se munit d'une tige tuteur récupérée chez Ahmed, me fit signe avec d'attendre, et dans un élan théâtral m'ouvrit son tiroir.
Sous le sourire orgueilleux de mon collègue, c'est toute une pièce qui surgit dans la lumière. Il avait aménagé son tiroir comme un mur d'enquêteur. Le fond et les quatre côtés étaient tous placardés de noms, de dates, et même de plusieurs photos d'identités. Des annotations, des degrés de probabilité, des calques, des codes couleurs picoraient l'espace. Des cordelettes scotchées tiraient des liens en trois dimensions entre calendriers et visages - certains étaient barrés, sans doute innocentés. Il y avait même ma photo et la sienne, celles qui pâliront sur nos cartes de pointage avec les années. Au centre de toutes ces équations, scannée et rapetissée, la première lettre de menace donnait son sens à tout cet attirail d'investigation.
"- La Chambre du Mentaliste, m'annonça Vincent à demi-mot pour qu'on ne nous entende pas. J'ai déjà pu éliminer pas mal de profils de coupables grâce à tous ces recoupements. Tu as sans doute remarqué que tu es encore dans les suspects, mais moi aussi : question de principe."
Il pointait les photos du bout de sa tige comme un colonel en alerte rouge. D'autres explications suivirent, pendant lesquelles je m'inquiétais un peu de la santé mentale de mon camarade, si tant fut que la construction arachnéenne qu'il me présentait était une projection de sa boîte crânienne.
"- Vincent, tu devrais pas un peu réduire les séries ?
- C'est plus fort que moi, je suis détective dans l'âme. Mon roman préféré est "Dix petits nègres".
- Et tes conclusions sont... ?
- Ah, il me manque des informations primordiales : j'ai rappelé la direction du Château de St-Priest pour pouvoir interroger les filles des vestiaires, avoir leur témoignage. Elles seules peuvent dire qui a eu accès à ta veste. Mais une vieille bique m'a pris pour un pervers et m'a dit qu'elle connaissait mon petit numéro par coeur avant de me raccrocher au nez.
- J'ai fait ce job et jamais personne n'a essayé de me recontacter...
- Ca devait se jouer sur le décolleté. Quoi qu'il en soit, sois sans crainte, mon étau se resserre inextricablement sur le bâtard qui te menace. Oui chérie ?"
Son téléphone venait de vibrer. Sa femme, pour la deuxième fois en ce lundi matin et il n'était que dix heures. Je m'étonnais d'ailleurs que Banjo n'ait encore pointé son air exténué de début de semaine, quand justement...
Trois palettes de pétales s'étalent et palpitent aux appels d'une brise d'hiver. Les crocus mordent leurs premiers jours d'exhibition, le corps mû loin de leur ombilical cormus. Ces canailles en camaïeu : de peau de lune à la douceur lactée des paquets Milka, les iridacées satellisent autour d'un azur qui m'irise les yeux. Insolents fleurissements... pour l'hibernation sonne le glas.
Un klaxon aux parfums sixties retentit, trompettes arrogantes aux désuets accents de dolce vita. Vincent, toujours en conversation avec sa femme à propos d'un échange de billet de train, vérifia si son téléphone fixe était à l'origine de cette pétaradante Cucaracha. A la deuxième tapée de notes, nous avons tous deux situé le tintamarre dans la rue désolée. Nos têtes sortirent, deux marguerites incrédules.
Vincent expédia sa nana. De toute façon elle rappellera...
En bas fumait un gros pick-up américain. Sur la marche du conducteur paradait Benjamin, debout au grand jour et plus hilare que jamais, fou d'orgueil de nous présenter ce monstre mécanique.
"- Je l'ai décroché les gars ! J'ai eu mon permis ! Descendez, on va faire un tour ! Je paye mon petit déj' pour arroser ça !"
Ellipse de moins de deux minutes. Bénédicte était passée à l'avant, Vincent et moi rebondissions sur le plateau ouvert, à l'arrière. Banjo conduisait assez lentement mais en sortant la tête pour nous parler.
"- Tu comprends maintenant Merlin ? Mon rencart ! hurlait-il.
- Dos d'âne !!
- Hein ?... Ah pardo...
- La vache !... Oui je comprends : ton cinquième rendez-vous mystérieux, c'était avec une inspectrice de permis de conduire ! C'est pourquoi, bien qu'elle t'ait apporté beaucoup de bonheur, tu ne voulais pas la revoir.
- Exact !
- Tu ne nous avais rien dit, petit cachotier ! Superstition ou peur de la pression ?
- Rien de tout ça ! Juste dans l'idée cette petite mise en scène pour voir vos têtes ahuries !
- Alors finis, les transports en commun ! Mais pourquoi ce gros pick-up ?
- Je l'ai acheté il y a longtemps, bien avant l'auto-école. Mon rêve ! Vous qui êtes assis derrière, vous ne devinez pas ?
- Quoi ?
- Ce qu'on peut faire avec une Dodge !
- Des hématomes ?
- Mais non ! Observez le revêtement que j'ai appliqué à la caisse !
- Tu vas transporter des clandestins ?
- Pas du tout ! Je vais faire un Dodjacuzzi !
- Dos d'âne !!
- Non, un Dodjacu... Ah pardon...
- Et c'est quoi ?
- Ben un jacuzzi dans ma Dodge ! Je remplirai la plate-forme d'eau pendant l'été."
Il rangea sa tête, visiblement désappointé par mon manque de percussion.
"- Et comment il fera pour les bulles ? se demanda Vincent.
- C'est Banjo. Il trouvera une combine..."
A l'arrière du mastodonte de la route, giflé par le vent, bringuebalé de gauche à droite, je souriais. Je souriais en revoyant la jubilation de Benjamin délivrant son coup de théâtre, l'excitation de Vincent me réservant la découverte de sa Chambre du Mentaliste, la retenue timide et titillante d'Emma qui lui fait préférer emprunter de confortables souterrains à notre relation.
Les secrets sont tout comme les fleurs, ils poussent, ils poussent. On a beau les confiner, un germe trouve la voie - ou la voix. Leur destin est de se répandre et toujours d'éclore.
Cette journée prouve que tous les secrets ne sont pas chargés de noirceur.
Je repose ma loupe, mon oeil est resté dedans, je suis étourdi. Et j'espère que l'histoire drapée d'Emma n'a rien de sordide, que sa floraison se fera aussi dans un sourire.
DATE DE COMMERCIALISATION
Dans les oreilles : Theophilus London "Wine and chocolates"
C'est la Saint Béatrice. Chaque année ce jour passe pour le moins inaperçu. Il n'y a pas grand chose à fêter le 13 février. C'est un jour qui a des habits beiges, des chaussures plates. Aucune aspérité. Si ce n'est qu'il vit dans l'ombre de la Saint-Valentin.
C'est en pleine réunion commerciale que j'eus l'idée, il y a un mois. Entre deux comptages de mots italiens. Pierre, PeF et Cornélia défendaient leur vision à coups de décibels. On se frottait sur les variétés et les quantités de bouquets à intégrer dans le plan Saint-Valentin. Combats de coqs... Nuée de pétales... Les fleurs poids-plume perdaient leur superbe dans la bagarre. Tous ces aboiements médiatiques pour cette fête de la TVA... Taxe sur la Volubilité Amoureuse.
J'imaginais déjà ces hommes dégoulinant de sueur enfonçant les portes des fleuristes à 19h01. "Il reste que ce bouquet bouseux ? Cette masse rabougrie ? Z'avez pas honte de vendre cette morflure ? Bon je le prends quand même. Sinon je vais devoir trouver une table au Vulcano."
Le prix d'un couple : vingt-huit euros. Une journée pour sauver les apparences. Falsification de preuve d'amour : ils en prennent pour un an ferme !
Je sais, ma vision de la fête des amoureux n'est pas très rose. Mais la vérité est qu'une large majorité pense de même. C'est statistique : additionnez les célibataires blasés, les célibataires jaloux, les divorcés revenus de l'union sacrée, les cyniques, les larguées, les maris emmerdés, les épouses recevant le bouquet de 19h01, les vieux, les allergiques aux fleurs, les vendeurs d'armes, et faites les comptes. 81% des gens détestent la Saint-Valentin et subissent le matraquage de coeurs et de roses sur toutes les chaines du seul bouquet qui les intéresse : le numérique.
C'est pour cela que j'ai interrompu les chipotages de PeF :
"- Et si on fêtait la Non-Saint-Valentin ? Que tous ceux qui haïssent ce jour idiot manifestent leur dégoût en offrant des fleurs un jour avant l'heure ? On pourrait faire une campagne marquante...
- Délirant, gémit PeF.
- Mais c'est loin d'être bête, jugea Eddy.
- Délirant ! s'enthousiasma PeF. Il faut faire !"
Quelques heures plus tard, Eddy fit valider et construire cette opération auprès de Miranda, en charge du marketing, de la communication et d'un bruit de fond professionnel constant. Elle trouvait l'idée culottée et porteuse. Doubler les filets, resserrer les mailles, amasser de nouveaux bancs !
En deux jours, des propositions d'affiches circulaient dans les bureaux. On me laissa donner mon avis et même si le projet final choisi ne fut pas mon préféré, des petites flammes de fierté me léchaient les omoplates. Ce fut donc : "Le 14 février, fête commerciale ? Cette année les vrais fleurs bleues fêtent la Saint Béatrice !", écrit sur un coeur en gentianes. J'aurais aimé qu'Elaq ait le culot de diffuser ce gros plan de deux mains entrelacées, alliances plantées autour des majeurs tendus - "Le 13 février, fêtez la Contre-Saint-Valentin : dites-le avec un doigt d'originalité !".
Personnellement, je trouvais tout aussi idiot de fêter la Saint Béatrice. C'est comme de s'habiller en blanc parce que la tendance est au noir : cela revient à subir la mode, à la souligner même. Vains combats de moulinets. Et je me gausse des gens rebutés par l'aspect commercial de la Saint-Valentin mais qui se roulent dans les hottes de Noël, se griment à Halloween, fleurissent le marbre à la Toussaint. Cependant, à l'initiative de cette campagne, j'avais imprimé un peu plus profondément la marque cynique de mes fesses au fond du siège d'Elaq.
Surtout, cela me donnait l'occasion de flirter avec l'ambiguïté, chose que je n'avais jamais osée jusqu'alors avec Emma. Lui offrir un présent ce jour qu'on venait de décréter romantique...
Nous évoquions rarement nos collègues, mais beaucoup les voyages. Nous ne parlions jamais de travail, souvent de nos goûts cinématographiques, musicaux, littéraires. "Les Goonies", sa madeleine. Corto Maltese à son chevet. On n'offre pas un cadeau à une femme qui a le goût de l'aventure, on lui fait découvrir.
La récompense de la chasse au trésor que je lui avais préparée était un livre troqué tout fripé sur le Mexique. Joli ouvrage de poche aux photos passées, rêves sépias de révolutions et de sombres héros zapatistes. Joli ouvrage que je revoyais sur le bord de mon étagère. Joli ouvrage que j'avais oublié ce matin !
La pudeur m'oblige à lisser les mots que j'ai alors lancé à mon propre égard : "triple andouille ! Tête de linotte ! Cornichon ! Bêta ! Espèce de gros connard de merde !".
Impossible de reporter l'opération à la Saint-Valentin, et mes indices semés n'attendraient pas la Saint Glinglin. Je fouillai mon sac et mes tiroirs de bureau, à la recherche d'un lot de consolation. Une capote Sprite : t'as raison, la classe. Un gant en laine : dommage, Emma n'est pas manchot. Face à ces choix, je me rabattis sur trois papillotes de chocolat Lindor et une mini-bouteille de Rioja, reliquats de cadeaux de Noël fournisseurs partagés par les Curie. Mieux que rien... Il me restait à refaire le cinquième et dernier indice qui mènerait à ce trésor au rabais.
Tandis que mon inspiration entrecoupée de quelques commandes professionnelles se rechargeait, je compris en quoi l'emplacement qui m'avait été réservé n'était de loin pas idéal, contrairement à ma première idée. Ce bureau ne m'avait pas été laissé pour la belle vue qu'il accordait sur un arbre centenaire, mais plutôt pour éviter la belle vue que tout le monde avait sur cet écran. Le poids des regards me voutait les épaules. J'essayai de masquer au mieux mes mots derrière mon dos. Tout à coup chaque lettre que je tapais avait une taille de police 72 !
Malgré tous les yeux, sangsues mobiles, qui me remontaient sur la nuque, malgré les sursauts, les sauts de pages, les interjections de Banjo et mon inconfortable position, je finalisai mon court texte et l'imprimai.
Les poches pleines de ce plan puéril, précipitation pataude derrière l'open-space, dans le hall menant aux autres bureaux. Mario, le coordinateur-magasins, entretient un aquarium à-quoi-boniste échoué en bout de zone sur un meuble console, flanqué de quelques orchidées couleurs néons. C'est dans ces pots que je dissimulai le butin en culottes courtes.
Enfin, dans ce même hall, je scotchai mon indice derrière une grande affiche de campagne Elaq millésimée printemps 2007. "Trésor qui dépale" avais-je imprimé avec quelques poissons pour nuancer la difficulté du vocabulaire marin et du jeu de mot "orchidées pâles".
Dernier coup d'oeil pour m'assurer de l'adhésion du papier... Le nez contre le mur, j'entendis un bruit de frottement, et je compris vite qu'il ne venait pas de l'affiche mais de la moquette. Quelqu'un derrière moi !
"- Il faudra penser à prendre rendez-vous chez l'ophtalmo. C'est pas écrit assez gros ?"
C'était Anita, ses dents crémeuses soulignées par un collier couleur smiley. Le réservoir à réparties désespérément sec, j'éternisai mon rire à la blague de la secrétaire. Interminable hoquètement, jusqu'à sa disparition à l'angle du long couloir. Je n'avais même pas pensé à lui proposer de l'aide face à l'avalanche de dossiers avachis contre sa poitrine.
Un peu honteux, je gagnai mon bureau et fis le point une dernière fois : un simple rébus mènerait Emma sous le jasmin de la serre et d'énigmes en énigmes, elle rebondirait de l'accueil au frigo, du jardin extérieur à l'affiche du hall. La nature bon enfant de ce jeu de méninges lui plairait, j'en étais convaincu. J'estimais qu'il lui faudrait à peine le temps d'une pause pour tout recomposer.
Envoyer ! Le premier indice partit par mail. Trois minutes plus tard, je lus son sourire dans la réponse.
Anita revint sur le plateau entrainant derrière moi ce nouveau courant de paranoïa oculaire disproportionnant mon écran 56". Je me concentrai donc un moment sur les résultats en direct - plutôt encourageants - de l'opération Saint Béatrice. J'essayais d'oublier Emma, ses sauts de puce.
Agréable refrain, elle revint dans ma tête, par derrière. Elle devait en être à résoudre "suis la piste au grand air, sous des larmes végétales..." et à voir pendre ma discrète enveloppe blanche dans le froid, quand la porte du fond s'ouvrit grassement. Barnabé revenait des bureaux de la comptabilité. Ses cheveux obéissaient à la même règle que la politique des emplois dans le service public en France : le non-remplacement d'un départ sur deux. Sous son casque déplumé, des moustaches rayonnantes de fierté. Ses deux mains étaient tendues par l'orgueil du pêcheur.
"- Regardez ce que j'ai trouvé ! Je sais pas depuis combien de temps ça traînait vers l'aquarium, mais je vais me les envoyer !"
Sur ce, il dévissa le Rioja. Son gosier enfla. Trois enfilades, trésors engloutis.
Shaolin furie ! Je me précipitai sur lui, le corps délié, absous de l'apesanteur. Dans un jet d'orteils vengeur je lui enfonçai la rate, lui taekwondai les dents ; mon coude estoqua six côtes, l'estomac s'estourbit autour de mon genou, reflua les boules brunes imbibées de vin. Barnabé gisait dans son aplomb et son vomi. Par représailles, je lui arrachai sa moustache.
C'est en tout cas ce que je racontai à Emma suite à son mail d'aveu d'impuissance à dénicher le magot. Rapidement, une réponse :
"- Felix, le fou rire que j'ai dû contenir à la lecture de tes péripéties vaut bien le trésor perdu ! Je te remercie pour ces bons moments."
Evidemment, elle ne fit aucune allusion à la Contre-Saint-Valentin... Alors je trempai le petit doigt dans ce sujet ; je me permis de lui proposer une compensation de son choix, que je ne lui offrirais qu'à la Saint Claude, le 15 février, pour ne pas la mettre mal à l'aise le 14. Fourbe embourbage...
"- Très bien ! A la Saint Claude on sera quittes avec un simple haïku."
Pour un immoral qui utilise à mon compte les valeurs que je ne respecte pas, je m'en sortais bien. Je brûlerai un cierge à la Saint Barnabé...
HAÏKU
Dans les oreilles : The Smashing pumpkins "17"
Quand la Muse m'effleure
d'un frisson que la peau aime
le sang les mots filent
SIFFLEMENT PARASITE
Dans les oreilles : Portishead "Magic doors"
Vue d'en bas, contre-plongée :
Une pluie de miettes arrose le bureau de Felix. Yoko fait le point auprès de lui sur l'actualisation du site internet. Miam-miasme, le muffin se désagrège sous l'attaque de la cavité rose. Elle ne prend pas de notes, son menton tremblote lorsque les cases de sa mémoire légendaire se remplissent. Tic en galoche.
A la vue des taches grasses dont elle auréole les documents de Felix, ses pommettes rosissent, deux Monts Fuji déboussolés par l'aube. Les ronds de gras s'étendent autour des morceaux rejetés par la croquée, sur les contrats tout neufs ; à travers ces trous translucides, on peut voir les yeux flous d'effroi de Felix. Il n'ose rien dire car il a remarqué le malaise de Yoko - en rajouter ne mènerait qu'à miner le terrain de leur relation déjà barbelée de gêne.
La bouche mastique encore. Ne pas gâcher. Des doigts boudinés s'abattent sur le papier et badigeonnent le beurre. Elle babille des excuses. Masse troublée, la mâchoire de Felix lâche lorsqu'en bas de page, les cernes brillants gagnent le seuil des signatures.
"- J'fuis dévolée, fait Yoko très lentement. J'vais arranger cha."
Elle s'éloigne feuilles à la main, son ombre survole la table, laissant Felix la tête pantoise sur son torse, miroir involontaire de son voisin Banjo dépité par le programme de commandes. Il sort de sa stagnation sous les sollicitations d'une supplique. Un son aigu. Qui disparait.
Philippe Pasquier pose soudain ses phalanges phalliques près de la souris de Felix, surpris.
"- Bonjour Laitier. J'attends toujours votre projection budgétaire pour le projet Hybrides. Va falloir me convaincre. On n'est pas encore couché..."
Felix hoche...
Il a mis la charrue avant le bovin Pasquier, fait signer les contrats montpelliérains avec Biopic à Eddy - ceux que Yoko vient de souiller. Avant même la validation du supérieur. Il comprend qu'il est coincé dans les galeries souterraines du champ de bataille entre le Sous-directeur et le Directeur commercial.
Sans rien ajouter qu'un souffle de mufle moqueur, Pasquier s'éloigne. Il croise Emma qui le salue, subjuguée par ses iris bleu-vert. Cette fois, elle n'aura pas un regard pour felix. Oui, felix vient de perdre sa majuscule...
Yoko replonge le bureau dans l'ombre, de la paperasse plein les mains, des Tagada plein les molaires.
"- Voilà, c'est arrangé. J'ai scanné et retouché les documents pour enlever les traces de gras. Ni vu ni connu. Avec Photoshop, j'ai même retravaillé les signatures pour leur redonner de l'épaisseur."
Il remercie Yoko et se dit qu'il a lui-même bien besoin de cette retouche sur Photoshop.
Vincent le siffle, lui fait signe de le rejoindre au tiroir, à la Chambre du Mentaliste...
Vue de l'intérieur :
Je le rejoignis en passant par le bureau vide d'Ericka.
"- Felix, il faut qu'on fasse le point. Mon enquête piétine, il faut que je l'ouvre sur de nouveaux axes de réflexions."
Illustration de ses propos, il m'a ouvert son tiroir tapissé de pistes et... nous y sommes rentrés !
Je marchai dans la Chambre du Mentaliste avec précaution. Mes pas étaient étouffés, comme les voix s'assourdissent sous les poutres d'un grenier. L'odeur rance de journal et de colle placardait les parois boisées, l'air, la poussière. Sans l'absence de plafond, la pièce m'aurait évoqué les atmosphères renfermées des salles de boxe au cuir moite, avec les photos jaunies de vieilles gloires accrochées aux murs burinés. Ici les portraits étaient ceux souriants et de moins en moins ressemblants selon le nombre d'années d'ancienneté de mes collègues potentiellement suspects : Barnabé les cheveux mi-longs, Eddy sans sa dent d'acier, Marie avec de la lumière dans les yeux, Bénédicte en chemisier,...
"- Il me manque les photos de plusieurs suspects, mais j'arrive à suivre.
- Je n'en suis pas si sûr que toi, dis-je en appuyant mes fesses sur une punaise cuivrée. Tu as laissé la photo de Barnabé, or il n'était pas là le jour de la première menace : tu peux l'exclure.
- Au temps pour moi."
Il arracha le poster, le roula en boule. Sa baguette militaire à la main, il fit les cent pas dans la chambre tamisée.
"- Je n'ai collecté aucun nouvel élément pour faire avancer l'enquête, et les menaces ne sont pas reparues. J'ai beau superposer les calendriers, au-delà du constat que les vacances de Xavier et d'Eddy coïncident avec cette pause, je n'ai pas de piste sérieuse."
Je le rejoignis tout en foulant les emplois du temps photocopiés. Les dates défilaient sous mes semelles qui se tachaient d'encre.
"- Attention la tête ! fit la voix engourdie de Vincent."
J'avais manqué me décapiter contre le cordage allant d'une case d'octobre aux visages de Léo et de Bénédicte.
"- Bon, commençai-je. J'ai l'impression que tu n'utilises qu'une partie des méthodes existantes. Partie fort utile mais qui nécessite une complémentarité. Tu travailles sur les éliminations calendaires et sur l'analyse de quelques indices comme le cycas, le mouchoir que l'on n'a plus, la taille du premier papier, la graphologie. Bref tu pars des faits pour revenir au coupable. Et si on partait du coupable, pour en arriver aux faits ?
- Mais on ne le connait pas, le coupable !
- Non, mais on ne s'est pas assez posé la fameuse question : "à qui profite le crime ?".
- C'est brillant. Tu es un assistant épatant !
- "Assistant" ! Oui, c'est le mot ! C'est pour ça que je t'ai d'abord soupçonné : parce qu'un assistant pourrait viser mon poste et aurait tout intérêt à ce que je gicle d'Elaq.
- Ce qui nous laisse : Mag, Léo, Marie sans Pierre qui était absent à la première menace, dans une moindre mesure Yoko, et... toujours moi."
Déterminé, j'enjambai un amalgame de scotch et de fils et m'approchai de la photo de Vincent que j'arrachai. Seule une moitié se déchira mais cela suffit symboliquement à ce que mon collègue comprît que je l'éliminais de l'équation. Il me fit un clin d'oeil alors que je prenais du recul au milieu de la pièce dont le plancher craquait.
"- Sans compter les comptables, les stagiaires en marketing, les informaticiens qui voudraient changer d'orientation... Pas si géniale ma méthode..."
J'arpentai un tatami de papier. Juste en dessous de moi, le mot "Elaq", dans la phrase "Fuis Elaq ou tu vas mourir". J'écartai mes baskets et observai ce E. Ma rétine me toqua, interloquée par ce point de vue. Sa rigueur, ses barres parfaitement droites... La bribe d'une idée ou d'un souvenir était en train d'escalader la barre verticale de ce grand "E", quand toutes les synapses furent disloquées par une voix de femme.
"- Vous faites quoi là-dedans ?"
Je me retournai et découvris Mag à l'entrée de la chambre, une épaule plus basse que l'autre, le pied gauche à 90 degrés du droit, le jean sous les fesses accroché sans trop d'espoir à un millimètre de hanche.
Vincent claqua le tiroir et sortit tout ce petit monde de la pièce d'investigation.
"- T'occupes, lança-t-il. Calculs d'éphémérides pour un projet... un almanach.
- C'est quoi un mal maniac ?
- Un agenda saisonnier avec des conseils pratiques journaliers.
- Y'a une pétée d'applis d'astrologie sur iPhone pour ça, c'est débile. Chelou cette boîte...
- Sinon, tu voulais quoi ?
- Des bons de retours vierges hors-Euro ou hors-Europe, enfin genre. J'ai pas tout capté ce que Cornélia m'a dit mais elle m'a dit que tu lui avais dit un jour que t'en avais, et que t'avais dit qu'il suffisait de dire, que tu lui dirais où. A ce qu'elle dit."
Vincent ouvrit le tiroir sous la Chambre du Mentaliste et sortit le document en soutenant le regard en veille de Mag. Toujours sa suspecte numéro un.
Moi j'essayai de rassembler mes idées évaporées autour de ce "E" mais mes neurones ne saisirent que volutes...
Vue d'en haut, plongée :
Felix contourne les tables assemblées en forme d'Australie. Les contrats tachés et réimprimés l'attendent par-dessus son clavier. Il est pris d'un doute : et si Yoko avait saboté les accords en modifiant des termes sur son logiciel d'image ? Il se plonge dans la relecture, ressort honteux de cette comparaison paranoïaque entre les deux versions.
A nouveau, un sifflement s'immisce et lui susurre à satiété son si bémol exaspérant. Felix lève la tête au plafond, bouche ouverte et yeux plissés, comme si les pupilles pouvaient localiser les sons.
Il se félicite d'avoir l'auriculaire beaucoup plus modeste que celui de Pasquier sans quoi il se défoncerait l'oreille qu'il agite, mais rien n'y fait... la plainte platine se poursuit, pinçant des octaves qu'envierait une diva soul. Whitney, es-tu là ? C'est toi ?
Il plaque l'oreille droite à son PC, la gauche à son téléphone, il colle sa feuille de chou à son genou juste au cas où. L'irritant hululement s'interrompt et Felix lève les bras de soulagement. Mais le uiiiiii strie les ondes de plus belle, assène son larsen mesquin, acouphène en cavale.
Le bruit tape sur les tympans de Vincent qui cherche à son tour l'épicentre sonore. Le sismographe du pavillon s'agite aussi chez Pierre. Il gratte sa calvitie monacale et décide d'appeler les informaticiens. Marie, écrasée par cette tension, s'exile en geignant. Seul Banjo ne bouge pas. Il fixe l'écran. Immobile.
Tout le monde s'agite. Pierre est debout sur la table et inspecte en vain les aérations qu'il tripote, quand Felix croit percevoir la source : lui, c'est la tête en friche de Banjo qu'il tapote. Aucune réaction.
Un informaticien ramène sa voix et son élocution solaires :
"- Alors, comme ça il y a un appareil qui siffle ?
- Je crois que c'est lui l'appareil, fait Felix, ennuyé. On dirait qu'il a craqué."
Banjo miaule.
Les fenêtres de son écran sont toutes gelées, le sablier Windows égrène l'éternité du plantage. Sa gorge congestionnée émet le son.
"- C'est un blackout ? s'enquiert Felix.
- Laisse-moi voir... Non, juste une sur-sollicitation du navigateur. On va rebooter.
- Je parlais pas du PC ; je parlais de Banjo !"
Le technicien met une petite claque à Benjamin, à cheval entre la joue et le cou, sans effet.
"- Ah oui, il a l'air hors-service, conclut l'informaticien. C'est peut-être un virus...
- Il y a beaucoup de gastros en ce moment, mais ça fait pas siffler.
- Je parlais toujours du PC.
- Ah... évidemment... Bon, je vais essayer de le trainer en salle de pause. C'est sûrement qu'un petit coup de fatigue. Un thé lui fera du bien."
Docile, Banjo se lève lentement et suit Felix. L'informaticien, tout en dévissant l'ordinateur, ajoute :
"- A moins que ce soit un circuit qui aurait grillé...
- Euh... toujours le PC ?
- Ben non ! Banjo !"
Vue du miroir :
Rétive, ta raie se retrouve à droite. Tout est inversé dans la glace suspendue en face de la serre. Toute cette transparence... la baie vitrée, ton teint blafard, tu t'éventes Léo. Et ce n'est pas cette chute pathétique qui modifiera ton inconsistance. Cela partait d'une bonne intention, tu voulais arroser les plantes zèbres de ta cheffe, mais il a fallu que l'anse t'échappe, que tu tentes un rattrapage, glisses en avant dans le couloir. Et prennes la poire de l'arrosoir en pleine pomme - ou réciproquement, je suis un miroir, les inversions ça me fait pas peur.
Et je sais ce qui t'a déstabilisé. C'est de voir Bénédicte boire le thé avec Felix, dans le jardin d'hiver. Les voir s'esclaffer autour de la table en fer forgé... Tes mains se sont ri de toi et se sont dépliées ; reflets de leurs bouches grandes ouvertes. Puis ils ont vu ta gamelle, ont ri de plus belle. Tu as fui, caché sous l'arrosoir, humide et humilié. Pâle intro moquée, ton polo vire couches de cours récré...
Ahahhaha !
Léo n'a l'âge légal à Noël.
Rions noir...*
Ne sauras-tu jamais que s'ils pouffaient, c'était de soulagement de voir que Banjo, qui les avait tant inquiétés, se sentait nettement mieux ? Qu'ils se remémoraient sa crise pour mieux la digérer ? Sauras-tu que Felix est ton alter-ego ? Qu'il a compris en te voyant, poissard, tomber à travers mes images d'argent, que tu étais aussi amoureux de Bénédicte que lui d'Emma ?
Tu l'ignores Léo, mais Felix observe, trie, entrecoupe, multiplie les points de vue pour sortir de son carcan. Et il se demande jusqu'où tu irais pour ta cheffe. Si ce n'était pas son poste qui était visé, mais plutôt sa complicité avec Béné. Dommage que tu restes aveugle à tout cela. Tu restes du mauvais côté de ton miroir sans teint et ne vois pas qu'il est comme toi, désespéré de voir sa dulcinée hors de son cercle, de constater qu'il y aura toujours un sifflement parasite qui dissone les couplets de la romance.
Oui Léo, quand tu es tombé entre Felix et moi, tu es devenu son double. Reste à savoir si tu seras son halo ou son ombre à éviteR.
* ce dernier palindrome est attribué à Jacques Bens.
INVESTISSEMENT PRESENT
Dans les oreilles : The Smashing Pumpkins "Bullet with butterfly wings"
"- Quelle est la capitale du Togo, Laitier ?
- Je... l'ignore... Peut-être tout simplement la ville de Togo ?
- Tiens donc ! Et Chili la capitale du Chili, où on mange du chili. Et le plat préféré des népalais, c'est le népal. Ce serait si simple, hein ?
- Oui, dit mon sourire écarlate.
- C'est Lomé."
Philippe Pasquier me tendit sa tablette. Un planisphère, autant de pixels que d'habitants sur terre.
"- Vous sauriez me la situer ? Allez je vous aide..."
Il prit l'image entre ses doigts et le resserra autour du continent africain. Aucun nom de ville, aucune frontière... Il ouvrit ses paumes et me montra la carte comme un défi. Utiliser l'horizontalité, l'absence de relief pour me rabaisser. Trop fort, Pasquier.
Une plage de mutisme. Condenser l'hésitation. Dans notre société il est mal vu d'hésiter. On doit savoir, analyser, arbitrer, trancher, décider, imposer à la seconde. Pas le temps de réfléchir, mal vu aussi, il fallait le faire avant. Les connaissances doivent être opérationnelles. Les souvenirs doivent tous être en surface, à disposition, rangés, classés, répertoriés. Rien en profondeur. Comme sur un Mac, tout doit être dans l'interface.
Je combattis cette honte de si mal connaître l'Afrique et indiquai sans conviction un point au centre des terres. Ma culture, c'est comme les tartines de confiture, elle tombe toujours du mauvais côté.
"- Là vous êtes à Basoko, au Congo. Approximativement. C'est aussi loin de Lomé que Kiev de Paris. Voilà Lomé. Afrique occidentale. Une ville à l'extrême sud du Togo.
- aouichconfon... marmonnai-je
- Si je vous parle de Lomé, c'est parce que cette ville est représentative du mélange entre tradition et modernité. Tout le charme d'un marché aux fétiches, tout le dynamisme architectural d'une ville qui mise sur l'urbanisme. C'est pour moi la parfaite combinaison de ce que doit être Elaq. Vous voyez votre problème, Laitier ?... non ?... Vous ne piochez que dans le vieux marché. Autrement dit le projet Hybrides est désuet. Par conséquent je ne valide pas votre budget.
- Mais c'est une innov...
- ... Le risque est trop grand Laitier ! Je n'y crois pas. Nos clients se moquent de créer leur propre race de fleurs... Cela prend du temps, c'est relativement onéreux, le résultat n'est pas garanti...
- Il faut imagin...
- ... Seule une tranche de notre clientèle peut se sentir concernée. Les retraités. Alors bon, grâce à eux, je vais tout de même vous donner mon aval pour ce projet mais à hauteur d'un cinquième de la commande envisagée. C'est déjà bien audacieux."
Il y a des mots durs à dire, dont le grain vous écorche, des remerciements recouverts de papier de verre. Ce merci-là me fit saigner les cordes vocales. Je quittai le bureau témoin suédois en veillant à rester droit.
Notre sous-directeur est le produit improbable de cette société castrée. De ceux qui stérilisent le temps, eux même émasculés de tout courage. Au nom du profit immédiat, de la rentabilité Polaroïd, il n'y a plus de portée, plus de musique d'avenir. On n'investit plus que sur le présent. Les actionnaires ont piqué aux punks le concept "no future". Bons princes, ils nous offrent des révolutions technologiques, enrayant la révolution spirituelle dont le monde a besoin.
Bientôt la créature économique aura même rythmé jusqu'à notre vie sentimentale, la séduction ne sera plus un engagement mais un pari sur le présent. Draguer ? Trop long, trop risqué ! Ne resteront que les coups de foudre et les plans culs. Relation très riche ou très pauvre, et rien pour les classes moyennes.
La prise de risque est une prisonnière politique. On chasse cette notion en douce : célébrée sous les caméras cyniques au Capital sérieux intouchable, l'économie la tacle par derrière. La décourage. A l'ombre ! Le risque est parqué, maté par des miradors comptables.
Et c'est autour de nous tous que les murs sont montés. Les courbes de bénéfices sont nos lignes de vie. Nous voilà régis par d'économiques impairs impératifs. On bégaye notre destin selon le cours de la bourse, dans une cour carcérale. On sourit, c'est l'heure de la promenade...
La logique économique nous fout au trou. Nous ne savons pas où est passé le directeur de la prison. En vérité nous sommes si dociles, abrutis par nos mirages, que personne n'a remarqué que les portes ne sont pas fermées.
Mais on n'osera plus...
Au 452ème fahrenheit, c'est l'ambition qui se consume.